Barry Dierks, l’architecte des villas de la Riviera

Le créateur du rêve méditerranéen des années folles
Les années 1920, celles qu’on appelle “les années folles”, marquaient un souffle de liberté après plus de quatre ans de guerre mondiale et la terrible grippe espagnole, qui avait fauché autant de vies que le conflit lui-même. C’était l’époque où, pour ceux qui avaient encore les moyens, il était temps de revivre, de s’amuser, et pourquoi pas… de bâtir des palais au soleil. Et où mieux investir sa fortune qu’en bord de mer, sur la légendaire Côte d’ Azur ?
C’est là que Barry Dierks, jeune architecte américain, allait créer un style et un marché pour les villas les plus somptueuses de la Méditerranée.Avec son partenaire — professionnel et personnel — Eric Sawyer, il allait concevoir ou transformer plus d’une centaine de résidences de rêve, dont beaucoup existent encore aujourd’hui.
La Riviera des années 20
La Riviera d’après-guerre n’était plus la même. Les princes russes d’avant 1914 étaient devenus chauffeurs de taxi, tandis qu’une nouvelle vague d’ Américains fortunés débarquait, profitant d’un taux de change avantageux. Autre changement majeur : la Côte d’Azur, jusque-là fréquentée surtout l’hiver, commençait à séduire aussi l’été.
Ce sont Gerald et Sara Murphy, un couple d’Américains audacieux, qui auraient convaincu en 1923 le propriétaire de l’Hôtel du Cap à Antibes de rester ouvert pendant la belle saison. Une idée qui fit boule de neige. Aujourd’hui encore, l’hôtel ferme l’hiver — une jolie revanche de l’histoire. Non loin de là, F.Scott Fitzgerald écrivait Tendre est la nuit, roman emblématique de cette époque dorée.
Barry et Eric : un duo d’exception
Né en 1899 dans le Montana, Barry Dierks avait étudié l’architecture àPittsburgh avant de poursuivre sa formation à Paris, à l’École des Beaux-Arts.Pour financer ses études, il travailla comme caissier à la Banque Chollet, où il fit une rencontre décisive : Eric Sawyer, le directeur de la banque, de dix ans son aîné. Issu de l’aristocratie britannique, Sawyer ouvrit à Barry les portes d’un monde fortuné. Ensemble, ils formèrent un tandem aussi harmonieux que complémentaire: Barry, l’artiste et le concepteur ; Eric, l’ingénieur, le paysagiste et le stratège commercial.
Villa Le Trident – leur chef-d’œuvre personnel
En 1925, après quelques années parisiennes, ils décident de s’installer sur la Riviera. Grâce à un heureux coup financier glané au bar du Ritz (une vraie anecdote d’époque), ils achètent un terrain de 6 000 m² à Théoule-sur-Mer, face à la Méditerranée.
Ils y construisent leur propre maison : la Villa Le Trident, baptisée ainsi car le terrain, vu du ciel, évoquait une trident. Blanche, épurée, ouverte sur la mer, avec des niveaux en cascade et une piscine en bas du jardin, elle devint la signature de Barry Dierks. L’entrée se faisait par le haut, les pièces s’ étageaient ensuite vers la mer — un concept repris dans presque toutes ses créations.
Des villas pour les puissants et les célèbres
Leur premier client fut l’écrivain britannique W. Somerset Maugham, qui leur confia la rénovation de sa villa La Mauresque à Cap-Ferrat. Le succès fut immédiat, et les commandes affluèrent. Mais c’est sans doute Château de l’Horizon qui reste la plus célèbre de leurs réalisations. Commandée en 1931 par l’actrice américaine Maxine Elliott, la villa, construite entre Cannes et Golfe-Juan, avait tout d’un palace moderne: piscine d’eau salée, toboggan géant plongeant dans la mer — adapté, dit-on, à la silhouette généreuse de la propriétaire, et parfait aussi pour Winston Churchill, l’un de ses hôtes réguliers.
Maxine Elliott imposait d’ailleurs un protocole bien à elle : ses invités devaient partager la vie de la maison, pas s’y comporter en clients d’hôtel.Les sorties se faisaient en groupe, dans l’esprit de la camaraderie chic de la Riviera.
Après la mort de Maxine en 1940, la villa passa aux mains d’Aly Khan, fils de l’Aga Khan, puis accueillit en 1949 son mariage avec Rita Hayworth.
Plus tard, dans les années 1970, le roi d’Arabie saoudite en fit l’acquisition.L’édifice, désormais agrandi et transformé, appartient toujours à la famille royale saoudienne. L’histoire veut qu’Olof Palme, en visite en 1984, ait dû se faire acheter une chemise de rechange par l’ambassadeur suédois Carl Lidbom —anecdote devenue légendaire.
Après la guerre, un autre monde
La Seconde Guerre mondiale bouleversa la Riviera. Eric Sawyer dut fuir à pied par les Pyrénées avant de rejoindre Londres. Barry, citoyen américain, réussit à embarquer pour les États-Unis à bord du paquebot Gripsholm, affrété pour les missions diplomatiques.
Les deux hommes revinrent à Le Trident après la guerre et reprirent tant bien que mal leur activité. Mais la magie des années trente s’était envolée.Barry mourut en 1960, probablement des suites de problèmes liés au tabac. Eric lui survécut encore vingt-cinq ans, jusqu’en 1985.
Aujourd’hui, la villa Le Trident appartient toujours à la famille d’Eric Sawyer. Depuis la route de la Corniche d’Or, on peut encore l’apercevoir, blanche et discrète, surplombant la mer. Une élégante sentinelle, témoin silencieux de la grandeur d’une époque et du génie d’un architecte oublié.
Nils Lindholm






